Il fallut cinq
minutes à Stu pour s’installer au volant. Il s’assit complètement de côté, presque
au centre de la banquette, là où se serait installé le passager du milieu. Très
attentif, Kojak avait pris place sur la banquette arrière, langue pendante. La
voiture était remplie de vieilles boîtes McDonald’s ; l’intérieur sentait
les frites froides.
Stu tourna la clé. Le moteur de
la vieille Plymouth se mit à tourner sans démarrer pendant une vingtaine de
secondes, puis commença à perdre de son entrain. Stu appuya sur le klaxon. Cette
fois, il ne poussa qu’un faible croâ. Tom fit une figure d’enterrement.
– T’inquiète pas, c’est pas
fini, dit Stu.
Oui, il y avait encore un peu de
jus dans cette batterie Sears. Il débraya et passa la seconde.
– Ouvre ta porte et pousse, Tom.
Ensuite, tu sautes dedans.
– Mais la voiture va dans le
mauvais sens, non ?
– Oui, pour le moment. Mais
si nous arrivons à la mettre en marche, ça va pouvoir s’arranger en un rien de
temps.
Tom sortit et se mit à pousser. La
Plymouth commença à rouler. Quand l’aiguille du compteur marqua dix kilomètre-heure,
Stu cria à Tom :
– Allez, grimpe !
Tom sauta sur la banquette et
claqua la portière.
Stu tourna d’un autre cran la clé
et attendit un peu. La direction assistée ne fonctionnant pas sans le moteur, il
dut utiliser tout ce qu’il lui restait de force pour que la Plymouth roule à
peu près droit. L’aiguille du compteur grimpait lentement : 15, 25, 30. Ils
descendaient silencieusement la côte que Tom leur avait fait grimper pendant la
majeure partie de la matinée. Des gouttes d’eau commençaient à couvrir le
pare-brise. Trop tard, Stu se rendit compte qu’ils avaient laissé le travois
derrière eux. Quarante à l’heure maintenant.
– Elle ne marche pas, Stu, dit
Tom, très inquiet.
Cinquante à l’heure.
– À la grâce de Dieu, dit
Stu en relâchant la pédale d’embrayage.
La Plymouth hoqueta, tressauta. Le
moteur cracha, toussa, s’arrêta. Stu grogna, autant de découragement que de
douleur car sa jambe lui faisait souffrir le martyre.
– Vas-y, bon Dieu ! cria-t-il
en débrayant à nouveau. Pompe sur l’accélérateur, Tom ! Avec ta main !
– C’est laquelle ?
– La plus longue !
Tom s’accroupit et pompa deux
fois sur l’accélérateur. La vieille voiture accélérait à nouveau et Stu dut
faire un effort pour attendre encore. Ils avaient descendu plus de la moitié de
la côte.
– Maintenant ! cria-t-il,
et il relâcha la pédale d’embrayage.
Le moteur de la Plymouth poussa
un rugissement. Kojak aboya. De la fumée noire sortit en gros tourbillons du
pot d’échappement rouillé, puis s’éclaircit peu à peu. Le moteur tournait, pas
très bien, sur six cylindres seulement, mais il tournait. En un éclair, Stu
passa la troisième en actionnant toutes les pédales avec son pied gauche.
– C’est parti, Tom, hurla-t-il.
Allez, roulez !
Tom hurla de joie. Kojak aboya et
remua la queue. Dans sa vie antérieure, celle d’avant le Grand Voyage, quand il
était Big Steve, il avait souvent été en voiture avec son maître. Et il était
bien content de recommencer maintenant, avec ses nouveaux maîtres.